Vents et poisons [Avec Opale de Nep]

Invité

La matinée avait été fraîche, mais désormais le soleil de l'après-midi chauffait généreusement les flancs des collines. Au début de ce printemps, Chouette avait mené les siens vers la chaîne de Mirn, où ils pourraient chasser et rapter du bétail pour se remettre des rudesses de l'hiver. Il s'était passé des choses étranges durant cette saison froide et elle était soulagée de la voir enfin passer. De toute manière, Chouette avait toujours été plus préoccupée par le quotidien des siens: aucun événement mystique n'était réellement à même de la détourner de la nécessité de faire survivre sa tribu.

Elle laissait l'aventure aux autres. Son rôle à elle était de gérer leurs approvisionnements en nourriture et en matériaux, arbitrer les conflits et surtout s'assurer que tous étaient autant en sécurité que possible. Ils ne resteraient pas longtemps dans les Collines Venteuses, Chouette ne l'avait caché à personne. Si ils avaient prit soin de monter leurs tentes très à l'est, entre Zàzrak et Claidheamh, dans l'alignement du Mont Mortis, dans une zone isolée, leurs vols de bétails ne passeraient pas inaperçus indéfiniment.

Leur premier rapt avait eu lieu quelques jours plus tôt. Les hommes de Chouette avaient réussi à emporter nuitamment une douzaine de moutons qui paissaient à présent dans un parc improvisé avec des branchages. Ils en abattaient un à deux par jour, pour compléter les prises des chasseurs. Quelques cadres tendaient les peaux des moutons déjà dévorés qui seraient réutilisés pour en faire des vêtements d'hiver. Et oui, le printemps était à peine revenu que les Neps se préparaient déjà à affronter les frimas suivants.

Mais Chouette n'avait pas le temps d'admirer le travail des tanneurs, les jolis moutons blancs ou le paysage. Si ses yeux perçants inspectaient machinalement le campement, elle n'avait pas le temps de s'arrêter sur les malfaçons qu'elle listait mentalement. A grands pas nerveux, elle traversait les rues de tentes vers sa yourte. Volcan était venu la prévenir: Opale, l'empoisonneuse, l'attendait avec des nouvelles qu'elle trouverait intéressante. Chouette s'était donc arrachée à la supervision d'un inventaire pour aller entendre le rapport de sa fidèle.

La chef de tribu écarta vivement le pan de laine qui servait de porte à la tente circulaire. Son chez-elle n'était pas plus luxueux que celui de ses subordonnés. Tout juste avait elle un rideau pour séparer son couchage de sa pièce à vivre. Sans jeter un œil à Opale, elle s'installa près de sa table à tréteaux puis adressa un de ses rares sourires à l'empoisonneuse. Au même moment, ses gardes qu'elle avait semé dans son empressement la rattrapèrent et prirent leur poste sans rien dire.

"Opale." lança elle pour tout salut en lui pointant un tabouret pour lui demander de s’asseoir. "As-tu fais bon voyage?"

Tu ne t'es presque pas arrêtée. Le trajet n'a pas été très long mais pourtant, ça t'a paru une éternité. En même temps, les chevaux coûtent chers et tu n'as pas les moyens de t'en payer un. Tu as dû marcher. Tu ne t'es accordée que de brèves pauses durant le trajet. Juste assez pour te reposer. Mais ce que tu as à dire est bien trop important et tu as préféré ne pas perdre trop de temps. Ce marché passé avec la Halde tombe presque à point nommé. Mais, après tout, tu ne peux rien vraiment dévoiler sans avoir consulter Chouette avant. Il faut la prévenir ou des soupçons peuvent peser sur ta tête et si l'on ne te fait pas confiance, ou si l'on pense que tu vas trahir les Neps, tu seras la première à mourir. Alors certes, la mort ne t'effraie pas vraiment et tu as suffisamment souffert pour être un peu hermétique à la douleur, mais si tu peux rester vivante un peu plus longtemps, tu ne vas certainement pas le refuser.

Tu n'as même pas pris le temps de faire un brin de toilettes ou de manger quelque chose lorsque tu traverses le camp pour rejoindre la yourte de Chouette. Tu salues brièvement quelques têtes connues, faisant signe que tu t'arrêteras discuter un peu plus tard. Tu préfères ne pas retarder la conversation à venir et ne pas la laisser s'ébruiter dans des oreilles indiscrètes. Chouette doit être la première au courant. Tu presses un peu le pas tandis que tu ressasses toute la conversation que tu as eu quelques jours plus tôt avec la guerrière Halde. Rencontrer une Halde et en sortir vivante ne doit pas être donné à tout le monde. Mais en sortir avec un tel marché... un marché que tu n'as pas pu refuser. Ces laisser-passer sont un atout précieux pour la tribu, leur assurant une certaine sécurité. Enfin, surtout à elle, puisqu'elle ne compte pas les délivrer à quelqu'un d'autre, mais cela permettra déjà une facilité des déplacements et une certaine assurance, surtout dans les grandes villes.

Tu informes ton désir de rencontrer Chouette avant qu'on te laisse entrer dans sa yourte, t'indiquant qu'elle ne va pas tarder à te rencontrer. À ce moment, et uniquement à lui, tu t'assoies sur un tabouret de fortune mais qui te fait soupirer d'aise, alors que tu ôtes même ta cape et masse un de tes mollets, courbaturés par ton voyage. Tu en profites pour reprendre un peu ton souffle et regarde distraitement autour de toi. Tu connais sa tente pour y être déjà venue. Elle reste aussi simple que toutes celles dans lesquelles tu as pu entrer. Quelques minutes plus tard, en effet, Chouette fait son entrée dans la tente circulaire, ne t'accordant pas un regard tandis que tu te remets debout pour la saluer. Tu la suis jusqu'à ce qu'elle rejoigne son bureau et s'y installe t'accordant un sourire que tu lui rends avec une véritable sincérité. Tu as beaucoup de respect pour Chouette, et pas seulement parce que c'est elle qui t'a donné ton nom. Mais tu sens chez elle cette tendance à vouloir accorder sa confiance. Enfin, la confiance chez les Neps est une notion très subjective, presque abstraite, mais elle existe toutefois sur une certaine dimension. Et tu préfères t'assurer de garder la confiance que Chouette semble t'accorder alors que ça fait tout juste un an que tu as reçu ton nom, faisant de toi un membre officiel de cette tribu officieuse. Tu acceptes son tabouret avec autant de soulagement que lorsque tu t'es assise quelques secondes plus tôt. Te remettre debout a réveillé quelques courbatures, te signifiant clairement que ton voyage a été plus fatigant que ce que tu pensais, surtout maintenant qu'il est terminé.

-Le voyage a été rapide et long. Mais je n'ai rencontré aucun incident majeur. Je me suis surtout beaucoup pressée pour pouvoir être ici le plus vite possible, et j'avoue que, maintenant que je suis là, je suis plus fatiguée que je le pensais.

Tu t'exprimes avec la malice qui te caractérise et ponctue ta phrase par un petit rire. Même si ce que tu as à dire est très sérieux, tu ne t'empêches pas de montrer un réel enthousiasme à toutes ces aventures. Toujours ce côté à prendre la vie comme un jeu, trait caractéristique de ta tribu d'origine dont tu ne parviens pas à te défaire. Mais, en même temps, c'est ce qui fait ton charme.

-Enfin, je suis venue le plus vite possible pour te raconter... j'ai fait une rencontre incroyable et étonnante mais, surtout, très très intéressante.

Impossible de te retenir. Tes yeux pétillent déjà au souvenir de cette discussion où la Halde a vraiment failli ravir ta vie. C'était vraiment excitant.

Invité

Opale semblait enthousiaste. Certes, elle l'était toujours mais Chouette voyait dans ses yeux une lueur particulière comme si quelque chose la mettait tout spécialement en joie. De plus en plus intriguée, la chef de tribu joignit les mains sur la table devant elle et se pencha un peu plus vers l'empoisonneuse. Elle s'était un peu méfiée de ce petit lutin maléfique dans les premiers temps, mais Chouette s'était vite rendue compte que cette vigilance n'était pas nécessaire. La petite était toute dévouée aux Neps, maintenant que sa tribu l'avait rejetée. Elle se corrigea mentalement: Opale n'était qu'un peu plus jeune qu'elle, même si son tempérament léger lui donnait souvent l'impression d'avoir affaire à une toute jeune femme.

Les nouvelles que portait l'empoisonneuse devait toutefois être particulièrement intéressantes pour qu'elle ait l'air si fière de son coup. Chouette haussa un sourcil impatient: certes, elle était contente de voir une ses subordonnées rentrer au bercail sans encombres, d'autant plus avec des informations, mais ce n'était pas pour autant qu'elle avait la journée. Qu'est ce que cette rencontre pouvait bien avoir de si extraordinaire? Avec une bouffée d'exaspération, la chef de tribu songea à la montagne de travail qui l'attendait à l'extérieur.

"Et bien! Dis moi tout!" répondit Chouette, s'efforçant de garder un ton affable. Il ne manquerait plus qu'elle se braque. "On m'a juste dit que tu avais des nouvelles intéressantes et j'aimerais beaucoup savoir de quoi il retourne."

Une rencontre incroyable, étonnante et intéressante pouvait comporter une foule de choses et Chouette n'avait ni le temps ni l'envie de jouer aux devinettes. Si elle devinait bien qu'Opale n'avait pas demandé une entrevue pour lui parler d'une amourette d'un soir, elle espérait toutefois que le contact qu'elle s'était fait n'était pas une quelconque sottise. Elle réfléchit un moment, incapable de se souvenir d'où revenait l'empoisonneuse. Il lui semblait qu'elle venait des environs du Mont Mortis. Des informations sur ce coin désolé emballé dans les superstitions ne lui serait pas d'une grande utilité, à moins qu'elle ai découvert cette créature qui exhausse les souhaits censée vivre au sommet.

Tu sens à sa voix qu'elle ne partage pas spécialement ton enthousiaste. Tu ne t'en offusques guère. Comment peut-elle le partager si tu continues de ne rien lui dire ? Et puis, tu es d'une nature plutôt désinvolte. Il t'en faut beaucoup pour te froisser. Mais tu ne comptes pas pousser Chouette dans ses retranchements. Tu aimes jouer, tu adores ça, et peut-être poses-tu souvent le pied sur la limite, t'enivrant de l'excitation qu'elle procure, mais tu sais aussi quand il faut t'arrêter. C'est certainement pour ça que tu vis toujours. Trouver le bon dosage. C'est comme la préparation des poisons. En tout cas, tu décides de ne plus la faire attendre plus longtemps.

-J'étais aux pieds du Mont Mortis pour ramasser quelques herbes et racines pour mes poisons – tu sais qu'il y a pas mal de matières premières très utiles là-bas, c'est vraiment bien – et, tête en l'air comme je suis, j'ai trébuché et je me suis retrouvée les quatre fesses par terre ! Enfin bon, le temps de ramasser tout ça, ben y a une dame à l'air très coincée qui s'est pointée devant moi. A voir sa tête et le gros cure-dent qu'elle avait dans le dos, j'ai de suite compris que c'était une Hald.

Non tu n'en fais pas trop, tu racontes juste ton histoire comme si tu te tiens devant un auditoire pendu à tes lèvres. Peut-être que Chouette écoute avec attention ce que tu lui dis, mais tu sais aussi que certains détails peuvent être passés sous silence pour se concentrer sur l'essentiel. Mais tu as le sens du détail. C'est ce qui rend une histoire vivante et passionnante. Et un poison efficace.

-Ben figures-toi que j'avais raison. C'est bien une Hald ! Et une Hald qui réfléchit en plus, tu te rends compte ? Bref, il se trouve qu'elle a vite fait compris qui j'étais. En même temps, elle a posé tellement de questions. Puis si t'avais vu son air... c'est comme si son visage il était incapable de sourire. Enfin, en tout cas elle a flairé le truc et elle m'a percé à jour.

Inutile de préciser que tu lui as largement laissé comprendre qui tu étais. Ce genre de détails n'est pas spécialement utile. Oui, il y en a qui vaut mieux laisser de côté parce que ça prend un temps fou à expliquer par la suite. En même temps, elle ne l'a pas rencontrée. Sinon elle comprendrait. Comment tu n'as pas pu lui mentir parce que tu as immédiatement su qu'elle ne te croirait pas.

-Comme tout Hald qui se respecte, je devrais être morte et bien non !

Surprise ! Tu juges utile d'ajouter ce point même s'il est évident que Chouette constate bien que tu es vivante. Un peu trop bavarde et joyeuse pour quelqu'un venant de se faire assassiner.

-A la place, elle m'a laissé la vie sauve parce qu'elle disait vouloir m'offrir euh... « l’opportunité de me racheter dans une moindre mesure ».

Tu exploses de rire, encore sidérée par une telle phrase à ton sujet. Te racheter... te racheter de quoi au juste ? Ah lala... elle est intelligente mais fait preuve d'une naïveté incroyable.

-Donc bon, elle veut m'utiliser comme informatrice. Elle dit être Stratège et qu'elle n'a pas un réseau d'informateurs aussi grand que le nôtre. Mais bon... ici on a rien sans rien, donc avant d'accepter quoique ce soit, j'ai demandé ce qu'elle avait à offrir de son côté. C'est alors qu'elle m'a parlé de laisser-passer luspien pouvant faciliter les déplacements. Fini les routes secondaires et les cachettes de dernières minutes. Des routes plus accessibles, plus rapides, plus la peine de se cacher en ville... enfin... disons que ça réduit considérablement les risques.

La prudence est mère de sûreté chez les Neps. Si les laisser-passer de la Stratège vous facilitent pas mal d'accès, tu sais aussi qu'ils ne vous protégeront pas totalement et que tu devras continuer de la jouer discrète. Ils te sauveront surtout la mise en cas de contrôle imprévu.

-Là-dessus, avant d'accepter, je l'ai immédiatement averti qu'il était hors de question que je fournisse des informations compromettantes sur les Neps. La elle a précisé que les laisser-passer ne seront que pour moi. Bon du coup, j'ai accepté. Sachant que selon l'importance des informations, on peut aussi moyenner autre chose... et que, bien évidemment, je ne lui dirais rien si on en a pas discuté avant.

Tu sais mieux que personne le pouvoir de quelqu'un qui peut détenir une information. L'information, c'est le pouvoir, justement. Et certaines peuvent se moyenner gros. Ou être révélée au moment le plus propice. Entendons donc par là, au moment qui vous est le plus favorable à vous.

-Enfin voilà, termines-tu excitée comme une puce.

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